Marques Brownlee et le fail de désirabilité
Ce qui arrive lorsqu’on confond reach et besoin à combler
J’adore les palmarès de fin d’année. C’est un exercice utile pour les lecteurs, qui profiteront du temps des Fêtes pour faire leur rattrapage, et généralement payant pour les médias en termes de trafic.
Mon préféré : les flops techno. Ah! La satisfaction de confirmer mes prédictions en voyant apparaître l’Apple Vision Pro, le HAWK coin et d’autres produits dont la définition des usages ne tient pas compte de la réalité des consommateurs. De la grosse bouette polluante.
Mes deux cennes : les professionnels impliqués dans l’innovation et le développement de produits numériques devraient étudier ces flops. Je suis sérieuse!
Ce sont des cas d’étude pertinents qui révèlent, entre autres choses, le rôle crucial du framework DFV (désirabilité, faisabilité et viabilité) dans le développement d’une solution technologique.

À ce framework, je crois qu’on devra aussi ajouter la responsabilité écologique et sociale. J’y reviendrai dans une prochaine publication.
Laissez-moi d’abord vous parler de désirabilité, la variable indépendante la plus importante du framework. C’est elle qui définit la proposition de valeur d’un produit du point de vue du client.
Sa question qui tue : « cette solution comblera-t-elle un besoin? ». Bien des équipes peinent à trouver le bon problème à résoudre.
Bien sûr, la faisabilité technologique et la viabilité financière sont essentielles. Mais on s’en fout si l’on n’est pas capable de détecter et de prouver l’existence d’un désir.
Ce qui arrive lorsqu’on confond reach et désirabilité
Marques Brownlee (MKBHD) est une mégastar de YouTube. Lancée en 2008, sa chaîne compte plus de 20 millions d’abonnés qui apprécient ses critiques de produits technologiques. Ses analyses d’iPhone sont aussi attendues qu’une nouvelle saison de The Bear.
Brownlee jouit d’une énorme crédibilité dans le monde de la tech : il a interviewé Bill Gates, Mark Zuckerberg, Elon Musk, Sundar Pichai. Bref, un monsieur qu’on prend au sérieux.
Puis arrive l’application Panels. Assurément l’un des flops techno de 2024 en termes de non-désirabilité. Je vous explique.
Panels, c’est une application qui propose des fonds d’écran personnalisés pour appareils mobiles. Comme Brownlee se faisait souvent demander où il se procurait ses beaux fonds d’écran, il a vu là une occasion d’affaires, en plus de faire découvrir le travail des artistes. Jusqu’ici, ça se tient.
Le lancement a fait grand bruit, mais pas pour les bonnes raisons. Les usagers ont eu l’impression de s’être fait rouler dans la farine.
D’abord, le prix.
En quoi un abonnement de 50 $ par an (12 $ par mois) est-il justifié pour des fonds d’écran, alors que la plupart des gens les changent 2-3 fois par année? Le prix demandé était loin de refléter la valeur offerte, même si la sélection était signée Brownlee.
Ok, certaines images sont gratuites, mais l’usager doit visionner des publicités et n’a accès qu’à la version standard. Or depuis peu, pour cette même version, il peut payer 1,99 $ par mois sans pubs.
L’autre critique concerne le manque de transparence quant à l’utilisation des données. Certains ont dénoncé le caractère intrusif de l’app, qui demandait de suivre des activités sur d’autres sites ainsi que des données de géolocalisation, sans lien véritable avec la simple fourniture de fonds d’écran. Ces données, destinées à alimenter le service publicitaire (AdMob), n’avaient pas été clairement communiquées aux usagers.
Face au flot de critiques – allez faire un tour dans la section commentaires de The Verge – Marques Brownlee a reconnu les erreurs et retiré temporairement l’application des stores. Il a également promis de rembourser les utilisateurs insatisfaits.
Brownlee et son entourage ont sans doute trop misé sur sa notoriété et son influence, sans prendre en compte la désirabilité réelle du produit. On a pris le public pour acquis, et cela pourrait nuire à sa crédibilité de critique techno.
Comment quelqu’un dont le jugement est si respecté peut-il lancer d’aussi terribles navets?
Le plus ironique, c’est qu’il a animé Retro Tech (Vox Media), dont la saison 2 portait sur des technologies prometteuses qui n’ont jamais vu le jour.
Vous aurez compris le point : prendre le pouls de la désirabilité est essentiel avant de se lancer.
D’un point de vue UX, la désirabilité dépend aussi de deux autres piliers qui influencent la qualité d’expérience : l’utilité et l’usage. Une excellente lecture à ce sujet se trouve juste ici.
Comment mesurer la désirabilité?
J’ai noté quelques approches. N’hésitez pas à m’en partager d’autres dans la section commentaires.
Recherches utilisateurs et personas pour comprendre leurs besoins et désirs (sondages, focus groups, forums).
Cartes du parcours client pour analyser leurs comportements.
Analyse des tendances de l’industrie pour anticiper le potentiel de succès.
Test de la « fake door » : créer une page de présentation du produit et tester son appétit via des infolettres, des pop-ups, etc. On explique alors à l’usager que le produit n’existe pas encore, et on lui propose de laisser ses coordonnées pour qu’il puisse suivre le développement. J’aime l’approche, qui permet de bâtir une communauté potentiellement désireuse, mais attention à ne pas confondre désir et simple curiosité. Dans le cas de Panels, j’imagine que beaucoup d’usagers auraient suivi le projet (curiosité), mais pas forcément adhéré à sa proposition finale. À moins, bien sûr, que l’équipe de Brownlee ait tenu compte des retours d’usagers en cours de route.
À propos de la responsabilité sociale et écologique dans le développement numérique
Dans les prochaines semaines, je compte creuser davantage ce volet du développement de produits numériques. On parle beaucoup d’éco-responsabilité, mais, à mon sens, il faut aussi étendre la notion de responsabilité à la santé humaine.
Des études récentes tirent la sonnette d’alarme : l’addiction numérique touche particulièrement les plus jeunes, et les dark patterns (ces techniques de persuasion sournoises) y contribuent certainement.
Ce sujet me passionne depuis longtemps. J’ai souvent dénoncé l’emprise des métriques d’engagement, qui nuisent à l’expérience des utilisateurs et alimentent, d’une certaine façon, la crise de la solitude.
On s’en reparle après les Fêtes!
D’ici là, je vous souhaite du beau pour 2025. Et je nous souhaite le début d’une nouvelle ère Romantique, rien de moins.