L’IA, cheerleader de nos idées… jusqu’à la dépendance?
L'intelligence artificielle générative peut-elle nous aider à avoir davantage confiance en nos idées?
Avoir une bonne idée, c’est une chose. Ce n’est pas toujours facile, mais on en est tous capables.
Mais croire en son idée, l’assumer et peut-être même la défendre, c’est une autre paire de manches. Et si l’IA pouvait nous donner un petit coup de pouce?
Je vous entends d’ici : « bon, pas encore une nouvelle solution IA qui prétend régler tous nos problèmes! » Non, je vous promets, ce n’est pas là que je m’en vais.
Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse sur Rick Rubin. Je viens de replonger dans The Creative Act: A Way of Being.
Ce livre, que j’avais d’abord approché comme un guide pour naviguer à travers le processus créatif, m’apparaît maintenant comme un manuel de résistance douce — un rappel qu’il y a de la valeur dans le doute, dans l’expérimentation, dans le chaos créatif. Et qu’on peut difficilement bypasser certaines étapes dans le domaine de la création.
Something will be gained through the process, whatever the result. Give yourself permission to be wrong and experience the joy of being surprised.
– Rick Rubin
Même s’il est très clair là-dessus — l’IA ne peut pas, selon lui, créer quoi que ce soit de vraiment artistique — je me suis demandé : est-ce qu’il verrait d’un bon œil que l’IA aide, non pas à créer à notre place, mais à nous donner la confiance nécessaire pour assumer ce qu’on veut créer?
1. Ce que dit la recherche
Des chercheurs de l’Université du Michigan ont mené une recherche intitulée How AI Ideas Affect the Creativity, Diversity, and Evolution of Human Ideas (2023). Les conclusions remettent carrément en question l’idée que l’IA générative affaiblirait la créativité humaine.
Les participants (800, de 40 pays) ont été exposés à des idées créatives générées par ChatGPT ou par d’autres humains, puis invités à proposer leurs propres idées dans un cadre de résolution de problèmes.
Ce que je retiens :
Une forte exposition aux idées de l’IA n’affecte pas significativement la créativité individuelle. Tant mieux!
Elle augmente la diversité des idées produites. Première fois que je lis ça.
Les participants adoptent plus facilement des idées générées par l’IA dans des contextes jugés difficiles et incertains. Tiens donc…
Autrement dit, en terrain inconnu — ce qui est pas mal toujours le cas quand on innove — l’IA peut calmer le hamster intérieur en le rassurant et, peut-être, donner assez de confiance pour passer à l’étape de l’exposition de l’idée.
2. Une expérience partagée à Hard Fork
Est-ce que l’IA nous ramollit le cerveau? C’est la question soulevée dans un récent épisode de Hard Fork. Des auditeurs y partageaient leurs expériences, et c’était pas mal captivant.
Un enseignant raconte avoir divisé sa classe en deux groupes : l’un pouvait utiliser ChatGPT pour répondre à une question, l’autre non.
Résultat? Le groupe avec IA générative proposait des idées plus originales… mais il s’agissait d’idées déjà évoquées puis rejetées en classe.
Ce que l’IA a fait ici, c’est pas inventer du nouveau. C’est redonner suffisamment de confiance pour ressortir une idée qu’on aurait peut-être gardée pour soi.
… au pire, on peut toujours s’en sortir en disant que l’idée n’était pas de nous, mais de ChatGPT ;)
3. Mon expérience personnelle
Depuis un an, comme beaucoup d’autres, je brainstorme souvent avec ChatGPT.
Il est devenu ce collègue patient et disponible avec qui je peux bouncer des idées. Je lui demande aussi de me challenger, de me poser des questions qui me forcent à creuser.
Je l’avoue : en tant que personne qui doute beaucoup — de soi, surtout — l’IA devient un allié dont j’aurais maintenant du mal à me passer. Avant, pour défendre mes idées, j’essayais de tout absorber sur un sujet. Oui, bien sûr, je validais mes interprétations en jasant avec des pairs. Or, on doit évidemment composer avec la subjectivité des humains…
Entendons-nous : ces étapes restent essentielles. Mais mes échanges avec ChatGPT me rassurent sur la solidité d’une idée avant de la confronter à d’autres humains.
C’est comme un filet de sécurité. Infiniment pratique… et addictif.
Le risque : l’addiction
L’étude qui gâche le party.
Une récente étude conjointe d’OpenAI et du MIT Media Lab révèle que les super utilisateurs du chatbot développent une forme de dépendance émotionnelle. ChatGPT est particulièrement addictif parce qu’il s’adapte incroyablement bien à nos habitudes et à nos questionnements.
On parle du phénomène de « sycophancy », c’est-à-dire une sorte de people-pleasing algorithmique qui fait que l’IA va se conformer aux attentes de l’usager, créant ainsi une interaction où l’utilisateur reçoit toujours ce qu’il souhaite entendre ou voir — même s’il est dans le champ.
Ça peut être extrêmement séduisant, car ChatGPT donne l’impression de nous comprendre. On se sent « vu ».
Ce qui contribue alors à stimuler le sentiment de confiance en soi… et ça peut devenir addictif.
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L’IA générative ouvre des portes sur des possibles créatifs, oui. Mais pour rester créatif, faut peut-être aussi garder une part d’inconfort, de doute, de lenteur. Faut se laisser du temps pour laisser germer une idée un peu weird. Et ainsi permettre à la confiance de se développer dans le processus…
Often the most accurate signposts are emotional, not intellectual. Excitement tends to be the best barometer for collecting which seeds to focus on. When something interesting starts to come together, it arouses delight. It’s an energizing feeling of wanting more.
– Rick Rubin
En gros, ç’a l’air que c’est à nous que revient la responsabilité de définir le périmètre d’interaction avec l’IA pour éviter la dépendance. Il s’agit donc de garder, quelque part, un petit coin d’intuition organique.
Ce que je vais tester prochainement
Pendant 15 jours, tenir un journal de mes interactions avec ChatGPT : pourquoi je l’ai utilisé, ce que j’en ai retiré. Une auto-analyse de mon comportement, en quelque sorte.
Réserver ChatGPT pour les tâches non stratégiques (recherches rapides, corrections), et garder les réflexions de fond off-AI.
Réduire la durée de mes sessions (même si je ne suis pas encore dans la spirale).
Idée folle : proposer aux plateformes d’IA générative d’intégrer des messages de mise en garde. Quelque chose comme : « Vous avez brainstormé avec moi pendant 90 minutes. Avez-vous aussi parlé à un humain aujourd’hui? » Vous en pensez quoi?
Merci de m’avoir lu et n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires ou de suggestions de lecture/visionnement sur l’économie des créateurs.
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Claudia