Emmerdification numérique : faire communauté en dehors du dépotoir
Il est temps de bâtir une culture numérique plus humaine, capable de résister aux forces impérialistes du Web.
Dans la réalité dystopique actuelle, affirmer que l’Internet s’est emmerdifié, c’est comme dire que le ciel est bleu et que Trump est orange : une évidence. Passons.
Mais en voyant les projections de croissance colossales de l’économie des créateurs, je me suis demandé : tirent-ils vraiment profit de cette emmerdification des plateformes?
Réponse courte : non.
Créateurs vs influenceurs : un rappel
Un créateur n’est pas nécessairement un influenceur.
Quand je parle de créateurs, j’inclus aussi bien les artistes visuels que les musiciens, auteurs, journalistes, chefs… bref, tous ceux qui produisent du contenu pour répondre aux attentes de leur communauté.
Un influenceur, lui, produit généralement du contenu pour vendre des produits ou des services.
Ces créateurs, donc, ne profitent pas du déclin de l’expérience utilisateur sur les grandes plateformes numériques. Au contraire.
Et c’est tout un paradoxe quand on sait que c’est grâce à leur travail que TikTok, YouTube et Meta dominent aujourd’hui le divertissement mondial. Ou plutôt, pour reprendre les mots de Ted Gioia, la distraction massive et hautement addictive.
Quand les followers ne veulent plus rien dire
Selon le rapport State of Create de Patreon, 53 % des créateurs affirment qu’il est plus difficile aujourd’hui de joindre leurs abonnés qu’il y a cinq ans.
Parce que l’algorithme des grandes plateformes sociales – dont le modèle d’affaires repose sur les revenus publicitaires – ne s’intéresse plus à ce que l’usager dit vouloir voir, mais à ce qui va maximiser ses interactions et son temps d’écran.
La nuance est importante.
Ces plateformes – Facebook, Instagram, X – ont ainsi abandonné un modèle centré sur les abonnements au profit d’un modèle algorithmique basé sur le sacro-saint « Pour toi ».
D’un point de vue commercial, c’est une réussite. TikTok l’a déjà prouvé.
Le résultat :
Une fracture de l’interaction sociale de plus en plus marquée.
Une fatigue grandissante chez les créateurs, qui passent plus de temps à produire des contenus-hameçons (memes, vidéos courtes) qu’à réellement bâtir une audience engagée.
C’est exactement ce qui est arrivé à la youtubeuse Carla Lalli Music.
Il y a cinq ans, elle quittait Bon Appétit Test Kitchen pour se lancer en solo. Depuis, elle a publié deux livres de recettes, elle a accumulé plus de 230 000 abonnés et 18 millions de vues sur YouTube.
Mais…
“It started to feel like a very high effort, very high expense, and very middling return.”
- Publish Press
Elle a donc laissé tomber les belles vidéos longues en 4K pour se concentrer sur son infolettre et son balado. Son objectif : prioriser la connexion avec son audience, plutôt que de courir après l’algorithme.
Même constat chez l’illustratice Marloes De Vries, également autrice de l’infolettre Making It :
“Posting something online feels like shooting in the dark — most of it misses its target, and occasionally it garners some engagement. Almost every artist on Instagram is experiencing this decline. It’s not you; it’s the capitalistic shit show we are in.”
- Is the end of social media near?, Making it
Tout n’est pas de la merde et, faut bien l’avouer, le modèle à la TikTok offre une visibilité massive et rapide que les créateurs n’avaient pas avant. Le problème réside dans la conversion de ces followers en une audience fidèle.
Et surtout, certains se demandent : pourquoi investir autant d’énergie dans une communauté qui ne nous appartient pas? Quitter la plateforme signifie perdre les liens avec la communauté qui s’y trouve. Sauf pour Mastodon ou encore Substack, qui permet de télécharger sa liste d’abonnés.
🤔 D’ailleurs, pour celles et ceux qui publient sur Substack : la fonction « followers » améliore-t-elle réellement votre portée sur Notes? Perso, je ne vois aucun effet… Curieuse de vous lire.
Créer pour l’algorithme ou bâtir une vraie communauté?
D’après les conclusions du rapport de Patreon, en 2025, les créateurs ont trois options :
1️⃣ Créer du contenu qui « fonctionne » pour l’algorithme. Ben oui, méchante nouvelle, han! Le piège : passer plus de temps à chasser les trends qu’à produire du contenu de valeur.
2️⃣ Sortir progressivement des grandes plateformes et viser une audience plus petite et ciblée. La conversion de l’engagement en soutien financier (abonnement, financement participatif) est un effort constant, mais il permet de garder une ligne éditoriale cohérente.
💡Une inspiration : Le modèle Building in public consiste à partager les coulisses d’un projet pour impliquer la communauté. Une approche de co-construction qui assure :
Des retours rapides qui permettent d’ajuster son contenu.
Une base de fans plus investie, qui devient ensuite ambassadrice du projet.
3️⃣ Diversifier ses sources de revenus. Trouver la bonne plateforme, le bon modèle d’affaires… surtout, ne jamais dépendre d’un seul canal.
Remonter la têter et penser au-delà des plateformes
Depuis des années, on répète aux artistes et entrepreneurs qu’ils doivent être présents en ligne pour « exister ».
En 2025, cette stratégie seule ne suffit plus.
Comme « touttt est dans touttt », il est peut-être temps, comme notre pays, de renforcer notre indépendance aux impérialistes du Sud et de cesser de suivre, tête baissée et porte-feuille ouvert, leurs règles du jeu.
Ça ne veut pas dire d’abandonner complètement ces plateformes; mais bien de prendre du recul pour développer une économie de la création numérique plus durable. Oui, méchant programme.
Comment reconstruire une culture numérique plus saine, plus humaine? Et quels seront les modèles économiques viables pour la soutenir?
Je pense que c’est là que notre responsabilité individuelle entre en jeu. En tant que créateurs, mais aussi en tant qu’usagers.
Trois pistes à explorer :
1️⃣ Changer nos habitudes de consommation des plateformes. Privilégier les espaces qui favorisent des liens réels et un soutien direct aux créateurs.
2️⃣ Pour les créateurs : se réapproprier vos communautés. Développer des modèles de monétisation qui ne reposent pas uniquement sur la viralité algorithmique.
3️⃣ Renforcer notre esprit critique. Se former, comprendre les mécaniques qui façonnent le numérique et refuser d’être de simples consommateurs passifs.
🔎 Pour celles et ceux qui veulent creuser la question d’une culture numérique plus humaine, je vous invite à explorer les ressources du Center for Humane Technology.
L’OBNL cherche à recentrer la technologie sur le bien-être humain. Ils s’intéressent notamment à la conception de produit et d’algorithmes plus éthiques et respectueux de notre attention.
Merci de m’avoir lu et n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires ou de suggestions de lecture/visionnement sur l’économie des créateurs.
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Claudia
Finalement on en vient à regretter l’époque des blogs et des flux rss
Merci pour ce post, c'est très intéressant et c'est exactement ce que je ressens. Est ce que tu accompagnes les créateurs dans la création de leur business model ? Car je suis en plein la dedans 😵💫