Qu’est-ce que l’économie de la création?
Compte-rendu d'une formation sur la « creator economy »
Qui ne voudrait pas faire de sa passion une source de revenus? La quête ne date pas d’hier, car les travailleur.euse.s du 19e siècle tentaient eux aussi de transformer leurs passe-temps en activité principale.
La différence, aujourd’hui, c’est qu’on a des technologies permettant de les propulser en dehors de nos réseaux immédiats, et c’est devenu si sérieux qu’on parle d’une économie de la création.
C’est pourquoi j’ai passé les premiers jours de mes vacances à suivre la formation sur l’économie de la création donnée par Li Jin, une experte du sujet qui écrit également sur les tendances et innovations du numérique. Une formation en six volets, qui a été suivie autant par des créateur.trice.s connu.es que des représentants de plateformes internationales (YouTube, Spotify, Patreon, TikTok).
Comme j’avais plusieurs pages de notes – et beaucoup de bébés-idées dans les marges – je me suis dit que je ne pouvais pas garder tout cela pour moi.🤓
Voici donc mon compte-rendu.
Les thèmes abordés :
l’évolution du passe-temps
la monétisation de la création
l’urgence d’une classe moyenne et des collaborations entre les créateur.trice.s
quelques prédictions
L’ÉCONOMIE DE LA CRÉATION EN QUELQUES MOTS
Environ 50 millions de personnes dans le monde s’identifient comme créateur.trice.s de contenu. Selon mes entretiens et recherches des derniers mois, la pandémie a contribué à l’émergence du phénomène alors que certain.e.s travailleur.euse.s ont remis en question le sens q’iels donnent à leur carrière.
L’économie de la création repose sur des travailleur.euse.s indépendant.e.s (créateur.trice.s) qui tirent un revenu de leur création sur des plateformes numériques. Cette nouvelle économie est en quelque sorte l’extension du modèle d’affaires de ces plateformes.
La renommée de ces travailleur.euse.s est directement liée à l’influence qu’iels exercent sur leur communauté et c'est ainsi qu'iels parviennent à monétiser leurs talents ou leurs connaissances. Car de l’autre côté, il y a des entreprises qui sont prêtes à « acheter » l’attention de leurs publics.
AU COMMENCEMENT, IL Y AVAIT LE PASSE-TEMPS
Comment en est-on arrivé à parler d’une économie de la création?
La réponse courte : quand les hobbies ont rencontré les nouvelles technologies. Mais cette réponse serait bien incomplète sans la mise en perspective historique qui suit.
Le passe-temps, en tant qu’activité de loisir, est apparu autour de la deuxième révolution industrielle alors que les travailleur.euse.s souhaitaient créer un trait d’union entre le travail et la vie personnelle. Le passe-temps était ni plus ni moins qu’une façon de cultiver le plaisir et de manière constructive, comme par exemple l’apprentissage d’un instrument ou la fabrication de cabanes à oiseaux.
Le choix du passe-temps dépendait largement du rang social et du genre; les hommes allaient jouer dehors tandis que les les femmes faisaient du bricolage à l’intérieur.
La première mutation du passe-temps au projet monétisable s’est réalisée lors de la Grande Dépression. À la recherche de nouvelles sources de revenus, certaines personnes se sont mises à vendre leurs talents : faire du pain, construire un cercueil, faire des conserves, etc. Cette grande période d’insécurité économique aurait donc été le berceau de la monétisation de l’activité secondaire.
La différence aujourd’hui réside dans l’existence de plateformes numériques qui ont donné un essor à la « marchandisation de la passion », en plus de l’automatisation rapide de plusieurs catégories d’emploi. Dans cette perspective, les activités secondaires sont envisagées comme un moyen pour développer son jardin de compétences et de connaissances afin d’augmenter sa valeur professionnelle et, je crois, sa singularité.
D’ailleurs, dans certains domaines, les side projects sont carrément devenus les nouveaux CV.
Ajoutez à cela des technologies qui permettent de mesurer sa progression et de se comparer avec les autres, et vous avez la recette idéale pour transformer les heures réservées aux activités de détente en heures de productivité. Tout cela est très bien expliqué dans cette vidéo.
Important : un.e créateur.e numérique, ce n’est pas nécessairement un.e influenceur.euse. Je pense que c’est ce que tout le monde a en tête quand on parle de création de contenus numériques, mais c’est plus complexe que cela. Un.e créateur.trice peut vendre son pouvoir de persuasion à une entreprise, mais ça ne veut pas dire que cette personne produit du contenu qu’à cette fin.
Il serait d’ailleurs risqué de composer des personas en se basant sur leur type de travail, car leurs publics s’intéressent à eux personnellement. Néanmoins, il est possible de les segmenter par plateformes et catégories professionnelles.
Ce qui fait le pont avec le prochain thème : la monétisation.
COMMENT MONÉTISER (UN APERÇU)
Comme la formation était surtout conçue pour les créateur.trice.s, la partie business occupait une bonne partie.
Voici les points saillants.
Chose certaine, ce ne sont pas les outils de monétisation qui manquent, car à peu près toutes les plateformes sociales en offrent. Normal, car elles souhaitent que les créateur.trice.s produisent et restent dans leur environnement.
Disons qu’on est loin de l’époque où le financement participatif à la Kickstarter était révolutionnaire! Mais son utilité demeure, cela dit.
Le défi est de trouver la bonne plateforme/modèle d’affaires pour le type de contenu proposé. Par exemple, on ne pousse pas l’abonnement pour un balado ou une infolettre sans avoir préalablement bâti son public. Il faut commencer par la base : produire du contenu pour obtenir de la visibilité et de la crédibilité.
Et on ne fait pas une campagne Kickstarter pour des vidéos de formation sur YouTube! Patreon apparaît plus approprié, surtout si l’on publie régulièrement.
L’idée, nous dit Li Jin, c’est de trouver un bon équilibre entre l’objectif du ou de la créateur.trice, les attentes de la communauté et le modèle d’affaires de la plateforme. D’ailleurs, le chemin est très souvent dicté par la plateforme utilisée au départ. Sur YouTube, la monétisation passe souvent par les revenus publicitaires, les abonnements à la Patreon et éventuellement des partenariats avec des marques.
Chaque plateforme a son modèle d’affaires et requiert un niveau d’engagement différent, tant de la part des créateurs que de la communauté.
Avec By me a coffee, l’utilisateur peut faire un don de temps en temps et le ou la créateur.trice n’est pas tenu.e de livrer du contenu en fonction d’un engagement financier. En revanche, avec un abonnement mensuel à la Patreon, les créateur.trice.s doivent non seulement livrer régulièrement, mais aussi assurer un niveau de qualité pour que l’abonné en ait pour son argent.
La formatrice recommande de choisir le modèle en fonction du niveau de développement du ou de la créateur.trice (débutant.e, intermédiaire ou professionnel.le avancé.e?). Ainsi, il serait plus sage de commencer avec le don, puis de tenter sa chance avec les partenariats une fois que la communauté est forte et mobilisée.
À retenir : les créateur.trice.s à temps plein comptent généralement sur plusieurs sources de revenus. Le maximum serait de 7 activités à revenus. Au-delà de ce chiffre, il y a risque d’éparpillement.
Par ailleurs, il est difficile de classer les activités à revenus en termes de gains relativement à l’effort, car si certaines prennent plus de temps et rapportent moins d’argent, elles ne demeurent pas moins essentielles pour le brand.
Meilleur exemple : la rédaction d’un livre.
CLASSE MOYENNE ET COLLABORATION ENTRE CRÉATEUR.TRICE.S
Li Jin ne tombe dans les discours solutionnistes. Au contraire, et c’est pour cela que j’aime son travail, elle se montre aussi critique de cette nouvelle économie dans sa forme actuelle, car celle-ci favorise la concentration de richesse dans le top 1 % des créateur.trice.s.
Sur Patreon, seulement 2 % d’entre eux touchent l’équivalent d’un salaire minimum. Les pourcentages sont aussi maigres sur Spotify, Substack ou YouTube. Ce qui signifie que le top 10 des créateur.trice.s les plus populaires de ces plateformes est immensément riche – raison pour laquelle 30 % des jeunes de 8-12 ans aspirent à devenir youtubeur.euse.s – alors que le reste récolte des peanuts. Et encore.
Bien sûr, il y aura toujours des créateur.trice.s plus populaires que d’autres, mais selon elle, l’écosystème en entier (plateformes, créateur.trice.s, communautés) bénéficieraient d’une classe moyenne de créateur.trice.s.
Comment faire ça?
Quelques idées en vrac : formation de syndicats, revenu minimal garanti (assuré par les plateformes qui profitent de la création de contenus), collaborations entre créateur.trice.s établi.e.s et émergents (exemple à suivre avec Pearpop?) et pression auprès des plateformes pour qu’elles injectent des éléments de sérendipité aux algorithmes.
Societies and platforms flourish when there is a path for everyone to have upward mobility, achieve financial security, and learn and grow. The beautiful thing is, in the real world as well as in the digital world, it’s up to us to build this path.
-Li Jin
Mais elle rappelle aussi que toustes ne sont pas à la recherche d’un salaire en publiant sur YouTube ou TikTok! Les motivations des créateur.trice.s sont aussi variées que leurs profils : plaisir, reconnaissance, prestige, exclusivité, appartenir à une communauté et FOMO, entre autres.
Encore faut-il que les plateformes offrent les outils, les formations et les possibilités de découvrabilité nécessaires pour atteindre ces objectifs.
Sinon, aucune d’entre elles n’est à l’abri de connaitre le même sort que Vine… mais bon, ce sujet devra être abordé dans une autre publication.
DANS LA BOULE DE CRISTAL DE LI JIN
Quel avenir pour cette économie de side hustles qui prend nos temps libres en otage? Je ne vais pas mentir : depuis que j’étudie l’économie de la création/passion/travail à la demande, ma liste de projets potentiellement monétisables s’allonge, mais pas mes soirées et mes week-ends (au contraire, je me couche plus tôt depuis la pandémie).
Li Jin a présenté ses 10 prédictions sur le futur de la creator economy. En voici deux qui m’apparaissent cruciales.
La première serait une réponse à la fatigue de la production de contenus.
L’épuisement est bien réel chez les créateur.trice.s de contenus, qui doivent produire régulièrement et en grande quantité, afin demeurer pertinent auprès de leurs communautés et de ne pas se faire « punir » par les algorithmes. L’avenir serait donc à la collaboration avec les communautés, comme cela s’observe déjà sur Telegram ou Discord.
Un crowdsourcing nouveau genre, qui permettrait par ailleurs de développer des expériences davantage orientées vers les utilisateurs.
Rien de nouveau sous le soleil.
L’autre prédiction, c’est que les créateur.trice.s seront si essentiels à différents secteurs économiques que nous verrons se multiplier les formations offertes aux travailleurs-créateurs.
Voici les principaux besoins en formation. En tout cas, il y a un marché là!
Et les 10 prédictions de Li Jin.
Voilà pour mon résumé.
À retenir : le concept d’économie de création ne s’applique pas qu’aux jeunes créateur.trice.s de vidéos comiques sur TikTok.
Dans un monde où la technologie redéfinit le marché du travail et abolit des secteurs d’emploi au passage, il faut être plus attentif à ce qui nous rend uniques. On est toustes appelé.e.s à développer des compétences de créateur.trice.s, à commencer par la débrouillardise et la créativité.
Comment fait-on ça? En misant sur ce que l’on sait bien faire et en adoptant la posture de l’apprenant. Ça me semble être un bon début.
Merci de votre intérêt et encore une fois, n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires et suggestions!
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Claudia
C'est vraiment intéressant, merci pour le résumé !!